Mes Favoris du Moment [Décembre 2023] : Les idées de William Morris

En m’intéressant aux beaux livres, je suis tombée sur le livre The Kelmscott Chaucer, considéré comme le plus beau livre au monde, créé par Kelmscott et William Morris. C’est en m’intéressant à William Morris que j’ai compris des choses sur moi-même.

Vous savez que je m’intéresse beaucoup à l’artisanat (joaillerie, vitraux, fleurs en papier, couture, reliure, maroquinerie, linogravure, gravure à eau forte, découpage de papier) mais je le fais à un niveau exigeant, càd que je me forme directement chez les artisans, utilise des outils professionnels, les meilleurs matériaux, comme si j’allais vendre chaque objet. De plus, contrairement à beaucoup, je m’intéresse à plein de métiers différents. Pendant des années, j’avais du mal à comprendre mon propre intérêt, pourquoi les autres arrivent à se contenter d’une forme d’artisanat, et moi je dois les faire tous ? Est-ce pour sortir du côté virtuel de mon travail ? Pour chaque type d’artisanat, je me renseigne à fond et maintenant en un coup d’œil, distinguer le beau travail du travail médiocre. Et la médiocrité m’énerve tellement que je ne peux pas me contenter des résultats moyens, je voulais que mes objets s’élèvent au rang d’art et puissent être vendus dans n’importe quelle vitrine rue du Faubourg Saint Honoré. Je n’y suis pas encore, mes objets sont loin d’être parfaits, mes profs me reprochent encore sur plein de détails et des techniques mal maîtrisées, mais j’espère devenir meilleure chaque jour.

Je suis en colère devant les objets médiocres faits main vendus par d’autres amateurs, qui ne prennent même pas le temps de faire toutes les étapes nécessaires pour finaliser leurs objets, ni se former correctement (ils pensent qu’YouTube suffit). Il y a une « relieure » ayant fait des livres à peine passables depuis 3 ans, se met à sortir un livre de tuto sur la reliure, sachant que sa seule source d’info depuis 3 ans est YouTube (!!). Elle n’a encore jamais vu un vrai relieur de sa vie. On voit cette tendance de plus en plus chez des Instagrammeurs et Tiktokers, cela indique une méconnaissance voire mépris pour les métiers d’artisanat (« c’est trop facile, il suffit de suivre ce tuto en ligne« ), une incapacité à reconnaître le beau, la complaisance dans la médiocrité, étant tellement habitué à s’entourer d’objets moches, mal exécutés, sans âme. Or, quand le beau ou l’art disparaît de notre vie quotidienne, notre vie devient toute triste.

J’ai été soulagée de trouver William Morris. En lisant sur lui, j’ai pu mieux structurer mes idées et mes motivations envers l’artisanat, car je lui ressemble un peu (un peu seulement). Il exerçait dans la peinture, la poésie, le dessin, la calligraphie, la broderie et une dizaine de métiers d’artisan. Sa société produisait manuellement des papiers muraux, des meubles, des livres, des tapis, des vitraux de grande qualité. La qualité de ses œuvres était tellement élevée qu’elle servait toujours de standing pour certains arts. C’est lui qui a appris tous ces métiers, retrouvé les techniques perdues et les a enseignées à ses employés.

Tout a commencé avec son emménagement au Red House en 1860 avec sa femme : insatisfaits de ce qui était disponible commercialement, William et sa femme Jane ont passé les deux années suivantes à meubler et à décorer l’intérieur avec l’aide de membres de leur cercle artistique. Des fresques monumentales et des tissus brodés à la main ornaient les murs, créant l’atmosphère d’une demeure historique. Forts du succès de leurs efforts (et de l’expérience de la « joie dans le travail collectif »), Morris et ses amis ont décidé en 1861 de créer leur propre entreprise d’aménagement intérieur : Morris, Marshall, Faulkner & Co. Tout devait être fabriqué à la main, un principe qui plaçait l’entreprise fermement à contre-courant de l’accent général sur le « progrès » industrialisé. La société a signé de nombreux contrats de fabrication de vitraux (pour les églises, cathédrales et particuliers). En 1875, Morris est devenu le seul directeur de la société rebaptisée et restructurée Morris & Company. Au cours de la décennie suivante, il a continué à concevoir à un rythme impressionnant, ajoutant au moins 32 tissus imprimés, 23 tissus tissés et 21 papiers peints, ainsi que davantage de modèles pour tapis et tapisseries, broderie et tapisserie, à la gamme de produits de l’entreprise. Tous ces articles étaient vendus dans le magasin que Morris ouvrit sur Oxford Street en 1877, dans un espace à la mode offrant une nouvelle expérience de vente au détail « tout sous un même toit ». En 1881, Morris avait accumulé suffisamment de capital pour acquérir Merton Abbey Mills, une usine textile dans le sud de Londres. Cela lui a permis de regrouper tous les ateliers de l’entreprise en un seul endroit et d’avoir un contrôle plus étroit sur la production. La dernière fierté de William Morris a été sa maison d’édition Kelmscott. Les livres produits par Kelmscott Press, au total 66 au fil du temps, étaient imprimés et reliés dans un style médiéval, avec Morris concevant leurs polices de caractères, initiales et bordures. Le plus célèbre d’entre eux est une édition illustrée des œuvres de Geoffrey Chaucer, publiée en 1896, quelques mois avant la mort de Morris, considérée comme le plus beau livre au monde. Source : V&A Museum

Ici, je vais résumer les idées de William Morris, exprimées dans le livre William Morris par Arthur Clutton-Brock.

Photo : William Morris

Je vois que beaucoup apprécient et utilisent les motifs créés par William Morris, mais comme d’habitude, ils sont tombés dans la consommation de masse. S’ils achètent ces objets créés en masse où les employés n’avaient aucun plaisir à les créer, dans des matériaux les plus cheap, ça va à l’encontre de ce que William Morris voulait pour notre société. Ca vaut donc le coup de vous expliquer ses idées avant que vous n’achetiez cette assiette au motif Strawberry Thief fabriquée dans des conditions obscures en Chine.

Photo : une grande partie des œuvres de William Morris sont actuellement au Victoria and Albert Museum.

William Morris, fervent défenseur de l’intersection entre l’art et la société, insistait sur le fait que l’art était l’expression de la joie que l’homme trouve dans son travail. Selon lui, la qualité des objets bien réalisés témoigne de la félicité de ceux qui les créent. Morris observait avec préoccupation le déclin du bonheur dans la société contemporaine, attribuant cela à l’incapacité des individus à trouver du plaisir dans leur travail actuel.

Pour Morris, la société avait dévié de son objectif initial, pour atteindre une obsession de la recherche du profit. L’artisan, autrefois libre, était devenu asservi à la quête du profit, conduisant inexorablement à la dégradation de la qualité du travail. Il déplorait l’utilisation des machines au service du profit capitaliste plutôt que d’alléger le travail et de contribuer au bien-être de la société. Il dénonçait l’esclavage moderne imposé par le commerce, symbolisé par la « famine de l’art » qui prévalait dans son époque. William Morris n’était pas contre les machines, mais selon lui, elles devaient être mieux utilisées.

J’ajoute qu’il suffit de regarder les objets du quotidien. Avant, même les feux rouges avaient plus de détails et de charme que les feux rouges actuels. Une étude a constaté la baisse du nombre de couleurs utilisées des objets quotidiens. En faisant du shopping, il vous sera impossible de trouver votre couleur préférée si ce n’est pas la « couleur tendance de la saison ». Avec le minimalisme, on tend vers le gris. Le minimalisme n’épure pas nos maisons, il y introduit des objets simplistes sans âme. On se souvient d’un article qui déplore la qualité de l’e-shop de Marie Kondo : elle nous conseille de vider nos maisons, mais ne s’offusque pas qu’on la remplisse avec des objets inutiles de son e-shop, en l’occurrence un bâton en bois pour 12$ ou un sac à fleurs à 42$ (lien).

Morris, artiste et artisan lui-même, avait débuté son activité avec le désir ardent d’être libre, et le succès de son entreprise avait prouvé qu’il existait un public pour le bon travail. Il soulignait que les problèmes sociaux résidaient non seulement dans la distribution des richesses, mais surtout dans la relation défectueuse entre producteurs et consommateurs. La société avait transformé le commerce en une fin en soi, négligeant le véritable objectif. Morris appelait à un changement d’attitude, encourageant chacun à trouver le bonheur dans le travail bien fait plutôt que dans la recherche effrénée du profit. Même les riches ne sont pas si heureux non plus, entourés d’autant de mochetés. Les riches devraient apprendre à aimer l’art, plus que les richesses, les pauvres à détester leurs conditions de travail, plus que la pauvreté.

J’ajoute que le luxe actuel n’est pas forcément synonyme du travail bien fait. Certes, c’est peut-être un peu mieux que les usines en Chine, mais en inspectant de près les objets vendus par les marques de luxe, et en discutant avec leurs artisans, le focus est toujours sur la rentabilité et non la qualité. Même les riches ne sont pas non plus épargnés car malgré l’argent, ils ne pouvaient pas toujours acheter des objets de qualité (qui n’existent plus). Lors de notre visite de l’atelier de Louis Vuitton, ça nous a beaucoup amusés de voir des richissimes dépenser des sommes monstrueuses pour des malles certes faites main mais couvertes en plastique (eh oui ce n’est pas du cuir). Alors que pour le même prix, chez un artisan sans logo, il aurait pu avoir une meilleure qualité et de meilleurs matériaux. Tout ça pour avoir un logo de marque chez lui.

Morris critiquait la société de son temps pour son manque d’âme dans le travail, attribuant cela à la subordination de l’artisan et à l’extinction de sa créativité. Il plaidait en faveur de la valorisation des talents naturels de chacun, soulignant que penser sans créer conduisait à la tristesse et à la pauvreté intellectuelle.

En conclusion, William Morris appelait à une transformation radicale de la société, mettant l’accent sur la nécessité de valoriser le travail bien fait, de reconnaître la créativité de chacun et de rétablir la connexion entre l’art, la morale et la raison.


A notre échelle, ce que nous pouvons faire c’est de viser la qualité, si possible des objets faits main avec amour et âme. Je vous ai déjà parlé longuement de mes artisans ou revendeurs préférés :

Pour ceux ne s’intéressent pas à l’art ou à l’artisanat, on peut faire plus attention à « ses conditions de travail ». Est-ce qu’elles vous conviennent actuellement ? Comment rentre le travail plus créatif ? Que pouvez-vous apprendre pour viser un métier aux conditions plus favorables ? Comment rendre votre vie plus belle, votre âme plus riche ?

Si vous êtes manuel(le), vous pouvez participer aux workshops (un ou 3 jours). Et si vous avez un CDI, ne me sortez pas l’argument du budget. Savez-vous que c’est mon CPF qui a payé pour mon workshop de reliure ? Eh oui le CPF paie plein de cours créatifs, et pas uniquement des cours d’anglais ou d’espagnol. La création manuelle booste votre créativité, vous apprendra à apprécier chaque objet autour de vous : comment ils sont faits, quels matériaux… J’aime beaucoup aller chez les artisans et leur poser des questions, et ils sont toujours très contents de me montrer un détail caché qui leur a pris beaucoup de temps à maîtriser ou à concevoir.

J’ai lu un autre livre sur William Morris, par V&A Museum. Ce livre montre non seulement ses œuvres les plus célèbres, mais aussi ses premiers essais. Par exemple, pour la calligraphie, il s’entraînait sur son temps libre le week-end et il lui a fallu deux ans pour comprendre comment créer de belles lettres et utiliser ses connaissances pour la création des polices pour sa maison d’édition Kelmscott. Dans ce livre, on voit davantage le long travail, les erreurs pour maîtriser un art. De même, en lisant les esquisses de Marcel Proust, je me suis rendu compte que ses premiers brouillons étaient mauvais, mais que chaque paragraphe était immédiatement réécrit (5-6 fois), jusqu’à ce qu’il soit satisfait du résultat. Le temps passé et le niveau d’exigence étaient impressionnants. On dit souvent qu’il faut 10 000 heures pour maîtriser un nouveau métier/art, certes William Morris, étant un génie, y est arrivé plus vite que les autres, mais il passait plutôt 5000 heures que des 200 heures de YouTube que se contentent certains.

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    Anh

    Anh est franco-vietnamienne et a vécu dans de nombreux pays (Russie, Australie, France, Norvège, Vietnam). Elle aime par dessus tout les chats, le DIY et la bonne cuisine. Ayant une très bonne mémoire, Anh est capable de vous donner le tarif du petit bus pris entre le Chili et la Bolivie qu'elle a pris il y a 3 ans.

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