[story time] Mon Expérience en tant qu’Apprentie Couturière au Vietnam

Aujourd’hui, nous continuons la série [story time]. Dans l’épisode précédent, j’étais en exchange semester en Australie, à Sydney en 2009. A la fin de ce semestre, je ne pouvais plus rester en Australie, n’ayant pas trouvé de travail, ni rentrer en France (n’ayant plus de visa).

Je suis donc rentrée au Vietnam en 2010, chez mes parents, à Hà Nội. Complètement déboussolée, ne sachant quoi faire de ma vie.

Une copine vietnamienne était dans le même cas que moi, elle qui rêvait de devenir créatrice de mode. Et pour cela, elle souhaitait d’abord prendre des cours de couture et m’a proposé d’y aller aussi.

La formation durait 3 mois minimum, 4h par jour de 8h à 12h le matin. C’était une formation pour professionnels, mais on pouvait y aller en tant que particulier. Ayant toujours voulu apprendre à coudre, j’ai dit oui tout de suite, ça allait m’occuper et me faire plaisir.


A la date d’inscription, je me pointe au centre d’apprentissage pour m’inscrire et ma copine… n’est même pas là. Elle m’a posé un lapin.

Je m’inscris quand même. Ce centre propose également des cours de cuisine et des cours d’arrangement floral. A la fin de la formation, si les élèves se sentent capables, il est tout à fait possible de passer un examen pour avoir un certificat. Contrairement au CAP, ici tout le monde peut prendre des cours, mais il faut au minimum savoir lire et écrire.

Donc pour la 1ère fois de ma vie, je me retrouve en classe avec des filles d’un autre milieu social que moi, qui viennent pour la plupart de la campagne. Elles sont à Hanoi parce qu’elles ont de la famille (lointaine) et toutes ont un rêve : devenir couturière.

Nous sommes trois à être complètement débutantes, et dans la classe, il y a une vingtaine de machines industrielles. Seule la machine est fournie, nous devons acheter le reste. Les autres filles ont commencé le cours bien avant moi, donc on est là avec des niveaux complètement différents et la prof circule entre les machines pour nous montrer comment faire, mais surtout pour nous engueuler parce qu’on est trop mauvaises 😀

Les cours : La 1ère semaine

Pendant la toute 1ère semaine, la prof me file des documents A4 et je dois recopier à la main ces documents qui contiennent les règles de couture industrielle : càd si le fil se coupe pendant la couture, où je dois reprendre. Si je termine une couture, sur combien de centimètres je dois réaliser le point d’arrêt. Je dois aussi apprendre les règles de couture de poche de chemise ainsi que les fermetures zippées.

Il faut aussi recopier la feuille concernant tous les problèmes techniques qu’on peut rencontrer avec une machine et les solutions proposées. Il est bien entendu interdit de photocopier cette feuille car d’après la prof, ça rentre mieux dans la tête quand on recopie à la main.

Je ne suis aucunement intéressée par l’examen pour devenir couturière professionnelle, mais la prof m’oblige à suivre quand même le process. Et franchement, grâce à ces longues heures passées à recopier les règles, quand je regarde les coutures d’un vêtement, je sais toutes les règles que les couturières ont dû respecter pour que les vêtements soient acceptés et exportés en Europe.

Ensuite, j’ai le droit à une pile de feuilles épaisses et je dois « coudre » des lignes droites sur ces feuilles, sans fil, pendant plusieurs jours. 4h par jour.

La 2ème semaine

Au bout d’une semaine, les nouvelles élèves et moi sommes très près de l’abandon, et c’est là que la prof nous autorise enfin à enfiler les fils, régler la tension des fils (j’en cassais plein au début) et faire des lignes droites, puis des lignes courbées sur du tissu. Bien évidemment, les frais qu’on paie à l’école sont vraiment ridicules donc dès qu’on casse une aiguille (sur une machine industrielle en plus – faut être maladroit), on se fait bien engueuler et du coup je n’ose plus en casser 😀

Je suis tellement contente de savoir faire des lignes droites correctement que je continue le travail à la maison aussi lol. Mon oncle a encore une vieille machine qui dort dans son garage et elle a été vite ressortie, testée et utilisée. Au bout de la 2ème semaine, je commence à faire quelques petits sacs…

un de mes premiers sacs

A partir de la 3ème semaine

Pendant 2 semaines, nous apprenons à faire des poches : poches de chemise, poches arrière du pantalon, poches de devant, poches avec revers, poches sans revers… sur des tissus différents.

Les tissus rayés et à motif sont vraiment les plus difficiles et on apprend non seulement que c’est difficile de couper la poche pour que les motifs matchent avec le tissu arrière, mais en plus, si je ne fais pas attention, le tissu va bouger et tout est de travers. Ma prof ne m’autorise jamais à jeter les tissus (que j’ai achetés en plus), il fallait découdre les fils un par un, car elle trouve que ça nous encouragera à ne plus commettre les mêmes erreurs.

Au bout de ces 2 semaines insupportables à faire que des poches, nous avons enfin le droit d’apprendre à faire des fermetures zippées. Quel cauchemar ! Fermetures zippées pour le pantalon, mais aussi les fermetures invisibles pour les robes.

Et quand la prof sent qu’on est au bord du suicide, elle nous autorise enfin à faire des pantalons. C’est le vêtement le plus facile à faire.

Contrairement aux patrons tout prêts qu’on voit en France, nous devons donc apprendre tout de suite à dessiner notre propre patron. Il y a des formules toutes faites, donc en fonction des mensurations, on peut créer un patron personnalisé. Bien sûr, le dessin des premiers patrons ne se fait que sur du papier, corrigé maintes fois par la prof. Et au bout de 10 dessins avec des mensurations fictives, nous avons le droit de le dessiner directement sur le tissu, le couper et coudre notre premier pantalon.

On devra en faire 3 comme ça, avec différents types de poches, tailles hautes, tailles basses…

Ensuite, nous passons aux cols.

Le col de la chemise reste pour moi mon pire cauchemar. Je n’ai jamais réussi à faire un seul col de chemise symétrique.

Comme avec le pantalon, nous apprenons à dessiner le patron d’abord, puis nous apprenons à coudre une vraie chemise. Il y a énormément de détails à apporter, au niveau des manches, des boutons, la poche… et je rate systématiquement le col. Je n’ai jamais réussi une seule chemise que les 3 mois de cours se terminent déjà. Pour des raisons personnelles, je m’arrête là, mais très contente d’avoir connu les règles de base.

Les autres apprenties couturières

Passer 4h par jour avec les autres apprenties couturières, ça crée des liens. On voit à travers les tissus choisis par les filles, leur personnalité et leur style.

Une fois, j’ai cassé le fil d’une surjeteuse et j’ai dû demander de l’aide à une fille pour qu’elle m’en remette. C’est une tâche difficile qui lui prend bien 30 minutes. Le lendemain, je lui offre, pour la remercier, des prunes séchées qui ne coûtent rien du tout et sa réaction (beaucoup trop positive) m’a beaucoup touchée. On dirait qu’elle n’a pas l’habitude de recevoir des cadeaux et elle m’a remerciée toute la journée.

J’ai tellement honte d’être si privilégiée et de me sentir quand même perdue et déboussolée. J’ai tellement plus de choix que ces filles, tellement plus d’opportunités et me voilà en train de me plaindre parce que je ne sais pas quoi faire de ma vie.

Je me suis liée d’amitié avec une fille avec qui le courant passe bien. Elle est dans la classe depuis plus d’un an. Je sais qu’elle est expérimentée rien qu’au son de sa machine à coudre. Alors que les autres filles ont des gestes plus indécis, elle a des gestes presque professionnels. Elle me dit qu’elle est presque prête à passer l’examen, qui consiste à faire une chemise d’homme. Le tissu (complètement blanc, plus facile) sera déjà pré-découpé et elle n’aura qu’à tout assembler en un temps défini (3h je crois).

Le cahier des charges est déjà clairement défini dans les documents que j’ai dû copier à la main au début du cours, donc je sais qu’il y a énormément de points à respecter et que ce n’est pas un exercice facile. Si elle réussit cet examen (et l’examen écrit), elle aura un petit certificat et pourra postuler pour travailler dans une usine.

Les élèves et la prof échangent beaucoup sur les opportunités de carrière et les choix qu’ont les filles. Au Vietnam, beaucoup de personnes font appel aux couturières (au lieu d’aller aux magasins de prêt à porter) donc si elles se débrouillent bien, elles vont gagner correctement leur vie. Elles pourront ouvrir leur propre atelier. Les clients viendront avec leurs propres tissus, notamment à l’approche du nouvel an vietnamien, et à chaque changement des saisons.

A l’époque, je faisais appel à une couturière pour les vêtements normaux (délai de livraison 1 mois), et une couturière spécialisée dans les tissus délicats comme la soie ou la mousseline de soie (délai de livraison 2 semaines).

Ma prof avait elle aussi un petit atelier de ce type mais elle avait tellement de clients qu’elle a tout simplement arrêté pour se consacrer à sa famille. Elle a donc opté pour un petit salaire en tant que prof. Pour arrondir ses fins de mois, elle participe aussi aux examens (en découpant les tissus pour les candidats et en notant les candidats).

Cependant, le salaire sera plus élevé si les couturières arrivent à intégrer une usine. Les usines qui font des vêtements à exporter pour les marques internationales comme Mango, Uniqlo… semblent être le graal pour elles. Elles ont un salaire fixe (ridicule) puis seront payées à la pièce. Bien évidemment, pour qu’une pièce soit acceptée, le vêtement est vérifié, inspecté et s’il répond à la longue liste des critères de vêtements à exporter, la couturière sera payée.

Si le vêtement ne correspond pas aux critères, la marque demandera la destruction de celui-ci, pour éviter que les vêtements de marque soient revendus ensuite pour un prix bas aux vietnamiens. De mémoire, en 2010, nous avons parlé de 40 000VND pour un pantalon soit 1,5€. Et pour elles, en 2010 toujours, 4 millions de VND de salaire mensuel étaient considérés comme un bon salaire (150€), on parle donc de 100 pantalons par mois, soit 5 par jour ouvré.

Ça a été comme un choc pour moi car ne venant pas du même milieu social, jamais je n’aurais accepté un tel salaire. En plus, même au Vietnam, le fait d’être couturière est considéré comme quelque chose de facile (comme être caissière en France), du genre « tout le monde peut le faire » alors que pas du tout : la preuve, je n’ai jamais réussi à faire une chemise.

C’est cependant la voie que choisissent les femmes de la campagne si elles n’ont pas d’autres qualifications, ou si elles ne veulent plus être femmes de ménage. Je me souviens, on avait une femme de ménage, qui vivait avec nous pour s’occuper de ma petite sœur pendant de longues années, et pour la remercier et lui offrir un avenir, mes parents lui ont payé des cours de couture du soir, pendant plusieurs années. Et un jour, elle a pu réaliser son rêve et a intégré une usine à Ho Chi Minh ville.

Un autre type de couturières est encore mieux payé que toutes les autres. Ce sont des couturières de modèles/prototypes. Elles réalisent les prototypes en suivant les dessins et les autres se basent sur ce qu’elles font pour réaliser les commandes.

Il y a un autre métier très prisé dans les usines, mais plutôt réservé aux hommes, c’est le coupeur de tissus. Bien évidemment, les patrons sont désormais coupés par les ordinateurs, mais il faut manuellement plier des mètres et des mètres de tissus, pour que la poche au motif fleuri matche parfaitement bien avec la chemise. Et c’est un savoir-faire très rare, qu’on ne nous apprend pas à l’école.

Made in Vietnam

J’ai beaucoup aimé ces 3 mois passés à côté des apprenties couturières. C’est en apprenant un métier qu’on se rend pleinement compte de ce qui se cache vraiment derrière… Avec la consommation de masse, et les prix de plus en plus bas, vous regardez peut-être un vêtement de 10€ avec mépris, en vous disant « de toute façon je le porterai une fois puis je le jetterai », mais savez-vous que derrière chaque vêtement, les couturières ont passé beaucoup d’heures à apprendre à les faire; apprendre à respecter le cahier des charges; et ne pas être payées pour les vêtements qui ne le respectent pas ?

A chaque fois que je tombe sur un vêtement « Made in Vietnam », je me dis que j’ai dans mes mains la preuve de réussite d’une couturière vietnamienne, peut-être d’une des filles avec qui j’étais en classe. Et je la félicite silencieusement d’avoir atteint ce graal qu’elles visaient toutes : un travail dans une usine de couture.

Si vous avez l’occasion de passer à Hoi An, testez le service de vêtements sur mesure vietnamien, appréciez ce travail manuel, on vous a écrit un guide sur le sujet ici

Si les métiers d’artisan vous intéressent, j’ai écrit un autre article sur mes cours de joaillerie à Paris ici

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    Anh

    Anh est franco-vietnamienne et a vécu dans de nombreux pays (Russie, Australie, France, Norvège, Vietnam). Elle aime par dessus tout les chats, le DIY et la bonne cuisine. Ayant une très bonne mémoire, Anh est capable de vous donner le tarif du petit bus pris entre le Chili et la Bolivie qu'elle a pris il y a 3 ans.

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    4 commentaires
    • Répondre Marco Tremblay

      11 novembre 2019, 2 h 11 min

      J’aimerais que vous confectionné des manteaux d’hiver pour moi,de grande qualité.
      Est-ce que c’est possible?

    • Répondre Loona

      16 janvier 2020, 14 h 42 min

      Bonjour Anh,
      Merci d’avoir partagé ton expérience.
      La formation dont tu parles, les cours sont en Vietnamien uniquement ?
      Et peut être que tu pourras me conseiller, j’aimerai apprendre à utiliser un métier à tisser (faire une petite formation), ou la broderie, connais tu un organisme dans le Nord du Vietnam ou à Hoi An susceptible de donner des cours ?
      Merci
      Loona

      • Répondre Anh

        16 janvier 2020, 16 h 18 min

        Bonjour Loona,

        La formation en question, c’est un peu comme les CAP et est en vietnamien effectivement.
        Les cours de broderie et de couture sont donnés régulièrement à Hoa Sữa School à Ha Noi, mais en vietnamien seulement.
        La formation est assez longue car les étudiants sont censés en faire leur métier après.

        Le tissage ne se fait plus à la main (ou juste en démo pour les touristes pour le fun), même pour la soie, ils utilisent des machines depuis très longtemps.

        Pour la broderie, il y a des personnes mettant les tutos en ligne ici : https://www.facebook.com/daytheutaytruyenthongthucuc/app/212104595551052/
        Tu pourras trouver les fils en allant au marché local (Chợ Đồng Xuân ou Chợ Hôm à Ha Noi) et montrer une photo de ce que tu cherches.

        Malheureusement, je ne connais pas d’organismes donnant des cours aux étrangers.

        Huu La La est une marque de vêtements spécialisés dans la broderie traditionnelle, tu peux peut-être aller les voir et demander s’ils donnent des cours. Des fois, il y a des artisans qui brodent à l’arrière-boutique à Hoi An. Ils ont aussi une antenne à Ha Noi.

        Tranh Thêu Cao Cấp Zukiko – Tranh Thêu Tay ĐÀ LẠT fait de la broderie sur les deux côtés, c’est une technique extrêmement rare, à Da Lat.
        Si tu passes par là, viens voir leur boutique. Ils ne donnent pas de cours mais on voit les artisans broder.

        Bonne journée !
        Anh

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