Vous connaissez mon amour pour les carrés en twill de soie chez Hermès. Cependant, Hermès n’est pas le seul à maîtriser l’art d’impression sur cadre. A Lyon, on peut visiter l’atelier d’une entreprise qui fabrique encore des foulards en soie grâce à l’impression au cadre plat dit “à la lyonnaise”.
De passage à Lyon, nous avons à peine le temps de visiter l’atelier, alors que Brochier Soieries a aussi un musée et plusieurs boutiques. L’atelier donne sur une cour intérieure et sans RDV, on peut pousser les portes et regarder comment les artisans travaillent. Il n’y a pas de tickets, les visiteurs donnent ce qu’ils veulent. Nous avons eu droit à une visite privée car nous sommes venus assez tôt.
Nous commençons d’abord par la « cuisine » où un artisan nous explique comment il fabrique son encre pour qu’elle soit suffisamment visqueuse, mais pas trop. A l’aide de formules précises (puisque c’est de la chimie ici), il dose et mélange les couleurs pour obtenir la teinte souhaitée. Ce travail demande beaucoup de précision, mais aussi du test & learn, car la couleur finale peut changer d’un tissu à l’autre. Et après la fixation des couleurs, la couleur finale peut différer de ce qu’on obtient lors de la première impression.
Ensuite, avant d’imprimer, il faut fixer la soie sur une table immense. On met d’abord une couche de coton puis une couche de laine (?!) et enfin la couche de twill de soie, tendue grâce aux épingles. Pour avoir une impression réussie, on veut que l’encre traverse la soie et donc les couches en dessous servent à absorber la quantité d’encre en trop. Ces couches de protection sont lavables et l’encre part facilement, car on n’a pas encore fixé les couleurs.
(Je ne suis pas certaine mais j’ai l’impression que l’encre traverse mieux le foulard ici que chez Hermès, peut-être parce que le twill de soi est un chouia plus fin aussi. J’ai mis un moment à distinguer le recto du verso).
Quand nous sommes arrivés, ils sont en train d’imprimer un joli foulard avec 8 couches de peinture.
Lors du design d’un dessin, les couleurs sont isolées et normalement on a un cadre par couleur. Il est possible de superposer aussi les couleurs façon aquarelle, mais cela demandera encore plus de cadres. Ces cadres sont fabriqués à la main et on dirait de géants pochoirs, obtenus à l’aide de la technique de sérigraphie (faites une recherche sur YouTube car c’est trop long à expliquer).
Ensuite, on met le cadre sur un foulard, dépose la peinture et passe au foulard suivant.
Après impression, il peut y avoir de petites imprécisions (encre manquant), l’artisan va pouvoir corriger à la main en déposant délicatement un peu d’encre sur les parties manquantes.
Le temps de séchage varie entre 5 et 20 minutes, selon la quantité de peinture déposée. Normalement, on commence d’abord par des traits fins, pour terminer avec la couleur du fond. Car si le tissu est trempé à cause d’une énorme quantité d’encre, il risque de s’étendre et les prochaines couches vont être déposées n’importe comment.
Le foulard ressemble à ça après le passage de 2 cadres.
Mais la version finale ressemblera à ça :
Après impression, ces foulards seront envoyés chez Hermès qui dispose d’une machine ultra high tech pour fixer les couleurs. Eh oui, car c’est gentil de déposer l’encre mais sans le fixatif, tout partira dès la première utilisation. J’ai compris ce principe lors de ma leçon de teinture de laine au Mexique mais on utilisait un produit chimique + du citron.
Ici, pour la soie, la machine va pulvériser de la vapeur d’eau très très fine, ensuite, les foulards vont passer dans un bain d’eau froide. Enfin, les foulards seront séparés, coupés à la main. On garde un centimètre tout autour pour roulotter les bords. C’est un savoir-faire précieux car cela permet de cacher le fil, c’est plus élégant ainsi. Cependant, un carré de 90x90cm demandera à un artisan expérimenté 45 minutes !! Brochier Soieries le fait encore en France dans leur atelier, alors qu’Hermès a sous-traité à quelques pauvres malgaches.
Cela dit, les carrés Hermès méritent leur prix également car l’industrialisation d’un savoir-faire ancestral demande beaucoup d’expertise et leurs designs sont très très complexes et leur twill de soie plus épais (fabriqué par Perrin, 18 momme au lieu de 14 momme).
La salle d’à côté comporte des collections de tampons en bois. Je vous ai déjà parlé de cette technique d’impression dans cet article et dans celui-ci. Les motifs demandent jusqu’à 15 planches différentes. Elles sont numérotées et on tamponne dans l’ordre qu’on veut, sauf la première qui comporte des petits clous pour indiquer à l’imprimeur comment utiliser les planches.
Les motifs ici sont beaucoup plus fins car la technique le permet. Ca peut être fait à partir de sculpture de bois, sur métal, ou des tiges de métal encastrées dans du bois.
Contrairement à la technique lyonnaise, les tampons servent plutôt à produire des mètres de tissu grâce à leurs motifs continus. Les planches sont frappées à l’aide du manche d’un maillet hyper lourd (alors que les indiens frappent avec la main). On a vu au musée de Mulhouse que c’était la technique la moins sophistiquée, car l’encre n’est pas déposé de manière régulière (c’est juste impossible).
A l’étage se trouve la boutique. Parmi les modèles imprimés sur cadre, il y a aussi des modèles imprimés numériquement et on les reconnaît assez vite car les traits sont moins précis que ceux imprimés au cadre. Il y a des modèles uniques aussi.
Le must-have pour moi, c’est un carré imprimé au cadre, avec le plus de nuances possibles (cela veut dire que les artisans ont passé beaucoup de temps dessus). J’aime bien le modèle Lyon de nuit, mais aussi celui qu’ils sont en train d’imprimer. Je suis partie avec un coloris qui, à la base, ne me plaisait pas quand je l’ai vu, mais les couleurs vont merveilleusement à mon teint, c’est fou. Il faut donc absolument essayer devant un miroir, on ne peut pas juger la beauté des foulards comme ça juste en les regardant.
Même si j’ai déjà une petite collection de carrés Hermès, rien n’égale le travail fait main donc c’est avec plaisir que je complète ma collection de carrés imprimés à la lyonnaise, avec un carré venant de chez Brochier Soieries.
Bon j’espère que tout le monde a compris. L’encre est à base d’eau donc il est interdit de se promener sous la pluie avec vos jolis carrés, ou de laver à l’eau froide comme l’a suggéré quelqu’un dans mon autre article (!!!). Lavage à sec obligatoire.
Je vous laisse admirer les détails de mon foulard. Il m’a coûté 229€, deux fois moins que chez Hermès. C’est voulu que les couleurs ne suivent pas le contour des feuilles, c’est fait exprès car au dixième de millimètre près ils peuvent les faire matcher, mais c’est juste le style.
Pour conclure, j’ai été agréablement surprise par la visite. Je pensais qu’on allait faire le tour en 5 minutes, mais au contraire, j’ai appris beaucoup de choses grâce à l’artisan qui nous a accompagnés. Ca se voit qu’il est passionné par son métier, et qu’il est fier de la qualité de son travail. Je vous recommande vivement de venir visiter. N’oubliez pas de laisser une contribution dans la boîte près de la porte en partant, ou de visiter la boutique à l’étage.
Atelier Brochier Soieries
à l’intérieur de la cour, sur votre droite
33 rue romarin
69100 Lyon