Voyager en permanence, c’est le choix que nous avons fait en devenant nomades digitaux. Ce mode de vie attire et certains cherchent à partir en mission humanitaire pour se rendre utile et assouvir leur soif d’aventure.
Comme de nombreuses personnes font des recherches sur ce sujet, j’ai proposé à notre ami Clément* qui travaille dans le domaine humanitaire de répondre à quelques questions.
Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à les poser en commentaire, je lui transmettrai pour qu’il nous apporte son éclairage.
Bonjour Clément, peux-tu te présenter en quelques mots (âge, parcours, formation, …) ?
Bonjour Jean-Benoît. Une fois mon baccalauréat en poche, j’ai choisi un DUT GEA (Gestion des Entreprises et des Administrations), qui me permettait de recevoir une formation généraliste et pas trop longue : idéale pour la poursuite d’études.
Puis, j’ai pris le temps de me renseigner sur les formations spécialisées dans l’humanitaire, et j’ai intégré l’université afin de passer un Master en Développement et Aide Humanitaire.
Mon diplôme en poche, j’ai choisi de me spécialiser dans l’aide humanitaire d’urgence et suis parti travailler dans de nombreux pays en crise.
Pour quelles organisations as-tu travaillé ?
J’ai travaillé pour plusieurs ONGs françaises connues du grand public, Action Contre la Faim par exemple.
Ces ONGs travaillent principalement dans des contextes de crise pour apporter une aide d’urgence aux populations victimes des conflits armés et des catastrophes naturelles.
L’aide apportée peut être de différentes natures : distribution de nourriture et d’eau, construction d’abris, soutien psychologique etc.
Quel est ton métier ? Quelle est ta journée type ?
Je suis Coordinateur Terrain. Le Coordinateur terrain travaille sous la responsabilité du Directeur Pays. Il lui revient de définir, sur une zone définie, la stratégie d’intervention en fonction du contexte géopolitique et humanitaire et d’assurer sa mise en œuvre. Il mobilise les moyens matériels et financiers nécessaires à la bonne conduite des programmes et en supervise la gestion. Il coordonne les équipes en place et est le garant de leur sécurité.
La journée type débute souvent par une rapide analyse de la situation sécuritaire dans la zone concernée avant de valider ou interdire le déplacement des équipes sur le terrain.
Je prends ensuite le temps de traiter mes mails avant de partir en réunion externe, le travail de représentation auprès des autres acteurs étant très important (ONGs et Nations Unis, autorités locales, populations etc).
L’après-midi, je traite des dossiers de fond (rédaction de stratégies, procédures, analyses…).
Enfin, et en particulier dans les zones de forte instabilité, je termine la journée par un débriefing avec les équipes.
Ce métier est passionnant et très prenant. Il requiert une forte résistance au stress et à la pression, ainsi qu’être à l’aise avec les responsabilités et la prise de décisions.
Quels sont les métiers principaux recherchés pour des missions humanitaires ?
Les ONGs recherchent différents profils, techniques et généralistes, qui sont divisés en deux grandes catégories de métiers : les métiers dits « programmes » et les métiers dits « supports ».
Les métiers « programmes » vont directement mettre en place les activités : médecins, infirmières, psychologues, ingénieurs agronomes, experts en eau et assainissement, experts en sécurité alimentaire…
Les métiers « supports » vont travailler en soutien des métiers « programmes » : logisticien, responsables finances et ressources humaines, experts en communication et plaidoyer…
Il n’y a aucun métier plus important qu’un autre, tous sont essentiels au bon déroulement des missions.
Dans combien de pays as-tu vécu ces dernières années, lesquels ?
J’ai eu l’opportunité de travailler sur deux continents : l’Afrique (République Démocratique du Congo, Centrafrique, Tchad, Libye, Soudan) et le Moyen-Orient (Syrie).
En dehors de tes journées de travail, avais-tu le temps de « profiter » du pays et de le visiter ?
Lorsqu’on travaille dans des contextes de crises et de conflits armés, l’insécurité fait partie intégrante du quotidien. Les expatriés doivent respecter des règles très strictes, notamment en termes de limitation de mouvements et de couvre-feu.
De plus, les journées de travail sont souvent très intenses, il est courant de travailler six jours par semaine et jusque tard le soir : nous n’avons donc en général ni la possibilité, ni le temps de faire du tourisme.
Il faut prendre du recul et s’interroger sur son impact réel. Sur une période très courte, qu’apporte-t-on ? Pas grand-chose.
Clément
Que penses-tu des organismes qui proposent à des volontaires des voyages payants pour partir quelques semaines ou quelques mois en mission humanitaire ?
Ce sujet est sensible et complexe, car à l’origine de ces départs à l’étranger, on retrouve souvent des jeunes désireux de s’engager, remplis de bonne volonté.
Cependant, il est important de savoir que sous couvert de solidarité, ces organismes sont des entreprises et ont pour vocation première de faire de l’argent, leurs bénéfices d’ailleurs ne cessent d’augmenter.
De plus, quand on est sérieux, il faut prendre du recul et s’interroger sur son impact réel : jeune, souvent sans expérience professionnelle, et sur une période très courte, qu’apporte-t-on véritablement ? Pas grand-chose.
Enfin, pourquoi faire du tourisme en se sentant investi d’une mission, il ne faut pas tout mélanger. La motivation et la bonne humeur ne suffisent pas, l’humanitaire, c’est un métier.
Que penseriez-vous si des touristes chinois venaient donner des cours d’anglais et prendre des selfies avec vos enfants ?
Clément
Certains voyageurs profitent de leur passage dans certains pays pour se rendre dans une école et proposer d’offrir quelques cours d’anglais par exemple. Que penses-tu de cette démarche ?
Donner quelques heures de cours d’anglais si vous y êtes invités, pourquoi pas. Il n’est pas inutile cependant de s’interroger sur son propre niveau d’anglais, ainsi que sur sa capacité à animer un cours, être professeur ne s’improvise pas.
Il faut également être lucide, ces cours ne seront pas suivis sur du long terme et auront un impact quasi nul… quand ce n’est pas négatif.
En effet, ces interventions sont souvent en décalage avec les méthodes utilisées par le personnel local, et les élèves ne s’y retrouvent pas.
Attention également à la démarche, il ne faut pas venir pour flatter son ego et faire des selfies pour Instagram. Que penseriez-vous si des touristes chinois venaient donner des cours d’anglais et prendre des selfies avec vos enfants ?
Est-il possible aujourd’hui de partir en mission humanitaire avec une ONG sans formation spécifique ?
Cela est possible, à condition de justifier d’une ou plusieurs expériences professionnelles dans l’un des métiers recherchés par les ONGs.
Que conseillerais-tu a quelqu’un qui souhaite se reconvertir dans le monde humanitaire ?
De bien prendre le temps de se renseigner : visiter les sites internets des ONGs, se déplacer aux différents salons des métiers de l’humanitaire et aux journées portes-ouvertes.
Cette étape est essentielle pour confronter ses attentes à la réalité du métier et éviter les désillusions. L’humanitaire est métier prenant, exigeant, et pas accessible à tout le monde.
* Pour des questions d’anonymat liées à son activité professionnelle, le prénom a été modifié.