Je me suis inscrite à un stage de reliure « passé carton » pour apprendre à faire une reliure demi-cuir. Le stage a lieu 2 semaines avant les JO et nous planifions de revenir en France pour les JO de toute façon. Le programme est sportif : à peine arrivés à l’aéroport, je passe déposer mes affaires et récupérer deux bouquins (dont je compte refaire la reliure) chez ma soeur, jouer ma nièce, afin de prendre le train ASAP pour T****. Le lendemain, je commence déjà mon stage de reliure, avec 5h de décalage.
Ainsi, pendant toute la durée du stage, je me prendrai ces 5h de décalage et me réveille tous les jours à 5h du matin et me couche à 21h. Cette fois, JB est avec moi et on se loge chez ibis budget et dîne tous les soirs, comme d’habitude, chez Bistrot régent à l’intérieur du ibis rouge en face. C’est plus facile pour moi. Tous les jours, je marche jusqu’au centre de reliure pour apprendre et déjeune sur place (boulangerie) car contrairement à la dernière fois, je suis totalement épuisée pour sortir manger au restaurant.
Le stage « passé carton » n’est réservé qu’aux avancés donc nous sommes peu nombreux. Il y a dans le groupe un relieur professionnel à qui j’ai pu poser beaucoup de questions car il aime, comme moi, coudre avec des rubans pour que le livre s’ouvre complètement. Ayant de petites mains, j’apprécie pouvoir poser le livre ouvert sur la table sans avoir à le porter en permanence. Il me dit qu’on apprend toujours quelque chose avec différents relieurs car il n’y a pas de méthode unique, chaque apportera son lot de conseils.
Les deux livres que j’ai pris avec moi ne passent pas les critères du prof : le premier est trop gros et n’est pas un livre broché. Le second a tout ce qu’on faut sauf qu’il a une colle industrielle difficile à enlever. Je suis un peu déçue parce que c’est justement des livres avec colle industrielle que j’ai envie de relier et j’aimerais voir la méthode pour enlever cette horrible colle industrielle, mais je ne saurai jamais comment faire. Si l’on doit seulement se contenter de vieilles colles des années 60, on ne pourra jamais relier des Harry Potter et des chefs d’oeuvre récents.
A la place, on me donne un vieux livre avec feuilles jaunies horribles, le style de livres que je déteste le plus au monde. Je demande de travailler avec des feuilles blanches mais le prof insiste que je travaille avec un vrai livre broché pour apprendre à récupérer la couverture et le 4ème dos. Un autre élève est dans le même cas que moi et lui non plus n’est pas content car personne n’a envie de travailler avec ces feuilles jaunes dégueulasses. C’est dommage, alors qu’on a toutes les chances d’avoir un joli livre grâce au matos pro qu’on n’aura jamais à la maison, on nous encourage de travailler sur des livres qu’on n’aime pas.
A partir de ce moment, je me dissocie totalement de ce livre et toutes les erreurs sont ainsi permises car je n’ai aucune attache sentimentale avec ce livre. On fera au mieux mais ne visera plus la perfection. C’est ainsi que je me rends compte que je ne serai jamais relieure professionnelle ! Si on m’amène des livres que je déteste, je vais dire non et je n’aurai jamais de clients ahahah.
Je suis quand même contente de ce stage. Même s’il y avait une longue pause entre mon premier stage et celui-ci dû à mes voyages non-stop, ma mémoire est revenue et je me souviens de pas mal d’étapes.
- les erreurs que j’ai commises la dernière fois ont toutes été évitées. Je fais toujours des erreurs, mais de nouvelles erreurs, que je ne ferai plus jamais
- le prof nous a montré des techniques vues seulement dans les livres : le fût à rogner, et les tranchefiles cousues
- il y a une méthode astucieuse de mise sous rhodoïde qui convient parfaitement à quelqu’un avec peu d’outils comme moi
- j’ai réussi mes coiffes dès la première tentative et je suis trop fière
- mon prof m’a aidée à aiguiser mon couteau de parage et pour la première fois, je réussis à réduire un cuir de 0,4mm à presque 0 ! Moi qui pensais que j’étais archi-nulle avais juste besoin de bons matos !!! J’ai fait du parage (parage pour la maroquinerie, parure pour la reliure) sur une ancienne pierre de litho et c’est ça qui me manquait aussi : une surface parfaitement lisse. Cette découverte change totalement mon approche en reliure et en maroquinerie car je ne serai plus dépendante des machines de parage et pourrai travailler plus librement avec des cuirs que j’ai déjà. P/s : en classe, nous ne sommes autorisés à effectuer le parage seulement quand nous amenons nos propres couteaux.
- j’ai découvert le livre « Reliure : technique et rigueur » qui explique très bien le passé carton. Après plusieurs semaines de recherche intense, je l’ai enfin trouvé à un prix acceptable (160 euros).
Cependant, j’ai fait l’erreur de couper les plats trop courts d’un côté. Pour m’assurer que le livre tient debout, j’ai été obligés de faire la même chose pour les autres côtés, d’où des chasses trop petites et finalement deux trous dans mes gardes couleur. Le prof m’a donné un fil de couture trop petit, donc je n’ai pas eu assez de mors non plus. Mon dos n’est pas assez rond.
En reliure, toute erreur est impardonnable car on va traîner avec jusqu’à la fin. Donc ces feuilles jaunes dégueulasses, ce dos pas rond, ça va traîner pendant tout le stage. Mon livre n’est pas trop mal vu de l’extérieur, mais dès qu’on ouvre le livre OMG, c’est la honte !
Les points que je n’ai pas aimés la dernière fois, par exemple la lenteur de la formation, n’ont pas été résolus. Pire, c’est encore plus lent que la dernière fois car le plus lent cette année l’est 2 fois plus que la dernière fois (je n’ai rien contre l’élève en question car on a tous été le plus lent un jour). Donc nous nous calons sur sa vitesse au lieu d’avancer à vitesse grand V. Je suis témoin pour la première fois de la fameuse méthode de nivellement par le bas adorée des français, au pays de l’égalité.
Cela créé un contraste de fou avec l’Asie, où j’ai passé plusieurs mois avec des petits et grands entrepreneurs. Et pour la première fois de ma vie, je me suis rendu compte de la fin inévitable de l’Europe : ces pays dit développés sont en train de s’endormir, alors que ça va à 3000 à l’heure en Asie. En discutant avec les gens, pareil, je me suis rendu compte que le politiquement correct s’est infiltré jusqu’au cercle amical, et que les gens ont perdu leur droit fondamental de liberté d’expression. Ils n’osent même plus dire ce qu’ils pensent, même aux amis.
Le nivellement par le bas, je n’ai encore jamais connu ça car mes profs au lycée et en école (en France) se calaient plutôt sur le niveau moyen, et filaient des examens longs comme le bras pour que même le premier de classe n’arrive pas à finir. Dans la biographie de Steve Jobs, il est indiqué que les gens de niveau A ne veulent travailler en groupe qu’avec des gens de niveau A. Et dès qu’on commence à recruter des gens de niveau B, on va un jour descendre au niveau C et la compagnie ne tourne plus. Il a compris le danger du nivellement par le bas. C’est cruel, c’est injuste, mais c’est la dure réalité.
Avec la reliure, on n’a pas de CA à réaliser pendant ce stage, certes, mais je me demande combien d’enfants en France sont en train de s’ennuyer comme moi à cause de ce nivellement par le bas ? J’ai tellement de temps libre que je peux, pendant le stage, vous faire des stories Instagram, écrire mon compte rendu, sortir mes 3 caméras pour me filmer de tous côtés. Croire que les gens vont tous à la même vitesse est une erreur.
Au lycée, quand mon prof s’est aperçu que j’avais un niveau de français insatisfaisant, il m’a isolée avec quatre autres d’élèves et il nous a donné des devoirs à faire en plus. Résultat, l’un d’entre eux a fini par faire Bac L, et j’ai eu 15 et 19 au bac de français alors que ce n’est pas ma langue maternelle. Les élèves les moins doués ont besoin de plus d’attention, pas qu’on s’abaisse à leurs niveaux.
Ainsi, je trouve le rapport énergie-argent/résultat moins satisfaisant que ce que j’espérais. Je perds 2 semaines luxueuses en Asie pour ce stage et paie très cher pour une chambre d’hôtel toute petite pour apprendre finalement le minimum du minimum. Je pars quand même avec un livre relié passé carton, mais j’aurais pu ajouter tellement de choses : tranchefiles cousues, tranches marbrées, colorées ou dorées, savoir m’occuper des colles modernes, utiliser mes propres papiers washi…
Je suis partie avec du matos nécessaire pour réaliser (enfin !) un livre d’enfance de JB, la dame qui s’occupe des outils au centre est très gentille, elle m’a préparé spécialement un petit pot de colle sachant que je ne peux pas acheter son format de 1kg habituel.
En même temps, ça m’a aidée à trancher : le CAP reliure, c’est NON. Parce que ça demandera à JB et moi beaucoup trop de sacrifice et on risque encore une fois le nivellement par le bas pendant toute une année !!! Le métier de relieur, c’est NON, parce que je déteste les vieux livres aux feuilles jaunes.
Quand une chose désagréable arrive une fois, ok c’est peut-être la faute des autres, quand ça arrive une deuxième fois, c’est clairement de ma faute ! Je n’ai pas choisi la formation adaptée : il me faudra uniquement des cours privés payés à l’heure, comme ça si j’avance lentement, c’est pour ma pomme, si j’avance vite, j’apprends plus de choses, et ça ne dépendra que de moi, pas d’événements externes… dans des endroits qui ne me demandent pas trop d’effort financier (Paris par ex) pour que je puisse avancer à vitesse grand V et travailler avec le style de livres que j’aime relier.